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37e édition du Festival Cinéma d’Alès – Itinérances

[interview intégrale] « C’est quasiment une relation amoureuse »

Hier on vous parlait de Michel Seydoux, à qui Itinérances consacre un hommage. Aujourd’hui, TLVEP vous propose une interview de ce producteur, dont voici la version intégrale.

Vous avez grandi avec quel cinéma ?

Je n’ai pas grandi avec beaucoup de cinéma, ma mère était passionnée d’art, le jeudi, on ne m’emmenait pas au manège mais au musée. Ma formation est dans le cadre, j’avais 6-7 ans, ça m’a marqué, j’allais dans les ateliers de peintres, de sculpteurs, c’est ça mon imprégnation. C’est ce qui m’a motivé à faire du cinéma. Je n’étais pas doué en musique, je n’étais pas très doué dans la mise en scène, c’était plus possible de me cacher derrière le métier de producteur…

Vous avez commencé en Afrique en vous penchant sur les rites vaudou avec Vaudou, entre morts et vivants, le sang. Pourquoi avoir commencé avec un projet aussi original et inattendu ?

Si vous vous penchez sur ma ligne éditoriale, vous constaterez qu’il y a beaucoup de voyages et d’aventure, c’est ce qu’il y a de plus important. Pourquoi l’Afrique ? J’ai rencontré Jean-Luc Magneron qui m’a proposé d’aller voir une initiation au culte vaudou. Le but était de rapporter des images, mais aussi d’en tirer quelque chose de formateur, humainement parlant. Et par cette expérience, cette aventure, je suis tombé amoureux de l’Afrique. On a fait un film qui a été révélateur car même si j’avais fait deux ou trois courts métrages avant, c’est le premier qui rencontrera du succès.

Vous parlez de voyage, vous voyagez aussi entre les genres : films à caractères sociaux, plus fantastiques à certains moments, historiques parfois… Qu’est-ce qui justifie une telle diversité ? Est-ce un luxe de cinéphile ?

C’est avant tout pour moi une aventure humaine, quasiment une relation amoureuse. Ce qui est extraordinaire dans le cinéma c’est l’éphémère : on va créer une équipe, qui va durer un temps T et l’équipe va se séparer, on connaît donc la fin. Pour que ça fonctionne il faut être très très collectif et s’il n’y a pas autre chose que « l’envie de », vous n’allez pas faire un chef d’œuvre. À chaque fois qu’on est entrés dans une aventure et qu’on a senti que tout le monde apportait son plus, son affect, son amour, le film a eu une âme. Les films qu’a sélectionné le festival sont ceux qui ont eu cette chance-là. Dans certains cas, ça ne marche pas, les histoires d’amour ne sont pas obligatoires.

Quel film auriez-vous rêvé de produire ?

Les Lumières de la ville. C’est un chef d’oeuvre de simplicité, le cinéma doit être extrêmement simple et profond, plus c’est le cas, plus l’émotion vous touche. Quelques films où j’ai l’impression que ça a réussi ont cette simplicité, c’est le cas de Cyrano ! Sans parler de mise en scène, la trame principale est très simple mais c’est très profond. C’est ce qui me motive.

Dans les années 60, Gaumont a produit les cultes Fantômas, Pathé produisait Fellini et les États-Unis étaient déjà écrasants face à la France. On fait aujourd’hui toujours face à des superproductions américaines. Où va le cinéma français et vous faites-vous du souci ?

Je n’ai pas honte du cinéma français. Je ne mets pas en exergue le cinéma américain. On a un problème, notre vecteur de commercialisation : la langue. Quand vous commercialisez en anglais, il y a beaucoup de gens qui parlent et comprennent l’anglais. Ils vont acheter les films américains. Comme exemple : Le Cinquième Élément où on a amené notre savoir-faire, l’acteur principal est américain. Si vous mettiez à la place le meilleur acteur français du moment comme Gérard Depardieu, ce serait très compliqué. Les Américains sont protecteurs. On fait 200 millions d’entrées en France, sur ces 200 millions il y a 70 millions d’entrées de films français. L’économie est là : faire un film pour qu’il ne soit pas vu, je n’en vois pas l’intérêt (Dune en est un exemple). Un artiste a envie d’être vu, acheté, aimé, dupliqué. On produit des suites parce que c’est facile économiquement parlant : vous allez vous servir du succès du précédent film pour le faire exister. Aujourd’hui avec le nombre d’images qu’on a dans le monde, il y a un tri à faire. Le cinéma français existe, on a beaucoup de chance, il faut bien réfléchir à ce qu’il va se passer. Ses fondamentaux sont en train de changer. Que sera-t-il demain ? S’il ne se bouge pas, il mourra, il faut arriver à se réinventer.

Dans le documentaire Jodorowsky’s Dune, vous dites que vous aimez retrouver ce « grain de folie » dans un scénario que vous avez envie de produire, mais ce grain on le retrouve dans le cinéma de genre français. Aujourd’hui on peut trouver des personnalités comme Pascal Laugier, Alexandre Aja… Est-ce que vous pourriez produire ce genre de films, qui ne sont pas assez distribués ?

Vous avez quand même un exemple : Roma, c’est un chef-d’oeuvre, sorti en Amérique, et c’est Netflix qui l’a produit. Sans l’influence de Netflix, ça n’aurait pas marché.

Mais Alfonso Cuarón n’est pas inconnu.

D’accord, mais il n’aurait jamais pu faire ce film dans le système traditionnel américain. Ce sont les consommateurs qui décident ! C’est le client qui a raison, c’est-à-dire que si vous lui offrez ce qu’il veut il viendra. Sinon il reste chez lui et il regarde son écran, ou il joue à la PlayStation.

Donc on continue sur Les Visiteurs 6 ?

Il y aura Les Visiteurs 12, il faut bien des cavaliers.

Propos recueillis par Achraf