39e édition du Festival Cinéma d’Alès – Itinérances

Hommage Yves Jeuland

Yves Jeuland est un auteur prolifique de documentaires, réalisant pratiquement un film par an depuis son premier, Scènes de classe en Bavière, en 1997​

Pourtant, selon ses dires, il est devenu réalisateur «  par effraction ». Lui qui n’avait jamais rêvé de faire du cinéma, se retrouve, par un concours de circonstances (il travaillait à ARTE), à tourner dans la classe de ses anciens correspondants allemands de la ville de Bavière, jumelée à Carcassonne dont il est originaire : « là j’ai réalisé que la lenteur, qui est mon principal handicap dans la vie, devenait un atout car le documentaire c’est l’école de la lenteur, c’est prendre son temps. » Depuis, le cinéma du réel ne l’a plus quitté et l’intéresse au présent mais aussi au passé. C’est pourquoi, depuis le début de sa carrière, il alterne entre ses deux : les films d’archives et des « histoires saisies sur le vif », comme il se plaît à les nommer.

Son thème de prédilection est la politique, plus précisément la question de l’engagement qui fait largement écho à son parcours personnel. Dès sa plus tendre enfance, il se prend de passion pour la politique : cette révélation lui serait venue à seulement 6 ans, fasciné par l’élection présidentielle de 1974. Il faut dire que le terrain familial était propice à cet éveil avec deux parents professeurs et militants proches du PSU et de la CFDT. Mais c’est sur les bancs de l’université Paul Valéry de Montpellier qu’Yves Jeuland se met activement à militer à SOS Racisme et à l’Unef-ID, puis au sein du parti socialiste, allant jusqu’à se présenter à des élections locales. Cette passion pour l’engagement politique le mènera assez naturellement, à réaliser deux grandes fresques historiques sur la gauche française : sur les communistes français dans Camarades en 2004 (prix FIPA d’argent) et sur les socialistes dans Le Siècle des socialistes en 2005. L’engagement politique devient même le sujet de Paris à tout prix en 2001 (7 d’Or de la meilleure série documentaire) ou d’Un village en campagne en 2008, tourné à Fleury dans ses terres audoises.

La pratique du pouvoir est un aspect non moins délectable de son travail, témoin privilégié d’élus comme Frêche, Delanoë ou Hollande dont il construit avec justesse les portraits. Dans cet exercice, il prend soin de laisser la liberté au spectateur de penser, c’est-à-dire de ne se situer ni dans la révérence ni dans l’irrévérence. Il s’attache à raconter une histoire plutôt que de traiter un sujet, privilégiant, comme en fiction, ses « interprètes » dans le réel.

Travaillant seul, armé de sa caméra, il privilégie le contrechamp. C’est aussi une manière de faire un pas de côté par rapport aux journalistes qui font partie intégrante du dispositif en politique : « filmer en plan large la meute des journalistes quand ces derniers filment en plan serré sur la personnalité politique. » Son choix est de tourner ce qui n’est pas prévu, ce qui échappe : « Filmer la politique c’est déjouer les plans médias », dépasser le storytelling des communicants qui deviennent des protagonistes, de Jean-François Probst dans Paris à tout Prix à Gaspar Gantzer dans Un temps de Président. Dans les débats télévisés, il tire parti du contrechamp en plaçant les politiques en situation d’écoute, créant un décalage car « le montage télévisé ne laisse pas voir la réaction de l’adversaire politique qui encaisse les coups. On ne montre que celui qui s’exprime. » C’est donc un matériau rare que le réalisateur se plaît à chiner dans les archives audiovisuelles. Il sait aussi faire bon usage du regard caméra dans des cas très particuliers. Par exemple, quand Delanoë dévoile, en meeting, ses intentions pour la mairie de Paris, il se sait enregistré pour la postérité par Yves Jeuland qui en est, lui aussi, conscient : « parfois quand on filme des hommes politiques, ce n’est déjà plus de l’actualité : c’est déjà de l’Histoire. »

Dans le même état d’esprit, le cinéaste cultive un penchant pour le hors-champ comme envers du décor : filmer ce qui se passe avant ou ce qui se passe après un moment officiel. Le Président en est une parfaite illustration : en coulisses d’un meeting on découvre un Georges Frêche en homme usé qui ressuscite sous nos yeux avec la montée d’adrénaline que lui procure l’art oratoire. Même dans un cadre imposé, le fait de filmer différemment des journalistes raconte autre chose : « le réalisateur de documentaires avec sa petite caméra au poing est un pêcheur d’images, là où le journaliste en caméra épaule est un chasseur d’images. » Pour autant, cette distanciation assumée ne l’empêche pas de s’intéresser au métier de journaliste car il réalise, en 2014, Les Gens du Monde (sélection officielle du Festival de Cannes), au sein du service politique du journal durant la Présidentielle de 2012. Cependant, le réalisateur n’est pas un adepte des interviews politiques, ce qui lui confère une certaine liberté face à ces hommes qui ont l’habitude de contrôler leur image. Il s’intéresse plus à leurs attitudes qu’aux petites phrases car : « contrairement au reportage de télévision, un film se regarde plus qu’il ne s’écoute. »

Yves Jeuland s’aventure aussi sur des thèmes touchant à la société française. Fervent défenseur de l’égalité des droits, il réalise en 2002 Bleu Blanc Rose, film d’archives qui raconte trente ans d’histoire et de lutte des homosexuels en France, puis Maris à tout prix en 2004, chronique du premier mariage homosexuel célébré en France, à Bègles, par Noël Mamère. Avec Comme un Juif en France en 2007, il explore, à travers des témoignages troublants et profonds, toute la diversité de cette communauté (Lia Award au Festival de Jérusalem).

Dans un tout autre registre, son intérêt grandissant pour le monde artistique oriente son travail récent : en 2012, Il est minuit, Paris s’éveille s’intéresse au milieu des cabarets, suivi de plusieurs films sur de grandes figures du cinéma avec L’Extravagant Monsieur Piccoli en 2016, puis Un Français nommé Gabin réalisé avec François Aymé en 2017. Et dernièrement, à nouveau avec François Aymé, un magnifique film-hommage à Chaplin : Charlie Chaplin, le génie de la liberté.

Enfin, son accession au poste de Président de l’agence Occitanie films, « un merveilleux outil dont je ne suis qu’un facilitateur bénévole », témoigne de son attachement à cette région comme terre de cinéma.

TEXTE DE GUILHEM BROUILLET
Après un doctorat en histoire des médias (Montpellier 3), sa passion pour le documentaire a amené Guilhem Brouillet à travailler pour les Rencontres internationales du documentaire de Montréal puis à s’investir dans le festival de Lasalle. Devenue sous son impulsion DOC-Cévennes, sa structure a intégré la Cinémathèque du documentaire et a reçu le label France-Québec CNC-SODEC. Chargé d’enseignement en cinéma à l’université, il a créé le festival étudiant Paul Va Au Cinéma. Il est Fondateur associé de CAIRN Productions.

Films présentés

Charlie Chaplin, le génie de la liberté de François Aymé et Yves Jeuland (France, 2020)
Un Français nommé Gabin de François Aymé et Yves Jeuland (France, 2017)
L’Extravagant Monsieur Piccoli d’Yves Jeuland (France, 2016)
Les Gens du Monde d’Yves Jeuland (France, 2014)
Il est minuit, Paris s’éveille d’Yves Jeuland (France, 2012)
Le Président d’Yves Jeuland (France, 2010)
Un village en campagne d’Yves Jeuland (France, 2008)
Comme un Juif en France d’Yves Jeuland (France, 2007)
Camarades d’Yves Jeuland (France, 2004)
Bleu Blanc Rose d’Yves Jeuland (France, 2002)
Paris à tout prix d’Yves Jeuland et Pascale Sauvage (France 2001)

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